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La neutralité religieuse

Le fait religieux dans les entreprises : quel cadre légal ?

La première finalité de l’entreprise demeure d’abord et avant tout économique. Cependant, et cela a encore été rappelé récemment par notre Ministre du Travail Muriel PENICAUD, l’entreprise est également devenue un lieu de socialisation, de discussions et d’interactions puisque le salarié tend de plus en plus à être considéré non plus seulement comme une ressource humaine, mais aussi comme un individu avec une histoire, une culture, une croyance (ou une non-croyance), des convictions et des préjugés propres.

Cela ajouté à une émergence de plus en plus importante au sein de la société civile de mouvements tendant à faire reconnaître une égalité de traitement des populations (on pense naturellement à l’égalité homme/femme, mais pas que), force est de constater que l’entreprise est de plus en plus souvent confrontée à la question de l’expression des convictions religieuses de ses salariés sur leur lieu de travail.

Fort heureusement, nombre de ces situations se règlent par le dialogue. Cependant, certaines problématiques demeurent et le sujet du fait religieux en entreprise tend à devenir un sujet d’interrogations croissantes, tant pour les employeurs que pour les salariés ou les représentants du personnel.

Le fait religieux est-il visé par le Code du Travail ? 

Non : le Code du Travail ne vise pas l'acte religieux en lui-même.

Non. Aucune disposition du Code du Travail ne vise explicitement un acte religieux, pas plus le jeûne du Ramadan que celui du Carême traditionnellement respecté par les Chrétiens par exemple. Cependant, si les pratiques religieuses ne sont pas visées explicitement et/ou en tant que telles par le Code du Travail, il n'en demeure pas moins vrai que plusieurs de ses dispositions trouvent à s'appliquer au salarié pratiquant. Raison pour laquelle le Ministère du Travail a publié un "Guide pratique du fait religieux dans les entreprises" en janvier 2017 (dernière mise à jour février 2018).

Mais plusieurs dispositions peuvent s'y appliquer, comme le rappelle le Guide Pratique du Fait Religieux dans les entreprises.

Qu'il s'agisse d'articles de la Constitution...

En premier lieu, il convient de rappeler l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, reprise dans l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et qui dispose que "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances...".

Sans entrer ici dans le débat de la définition des principes de liberté de religion ou de laïcité, force est de reconnaître que la Constitution française elle-même rappelle à de nombreuses reprises que "nul ne peut être lésé dans son travail en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances" (Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoi le Préambule de la Constitution de la 5ème République).

... Ou d'articles du Code du Travail ou du Code Pénal par exemple.

Les dispositions constitutionnelles ont été complétées, explicitées et étendues par divers textes de portée nationale ou internationale au fil du temps. C'est le cas notamment de divers articles du Code du Travail qui prohibent les différences de traitement considérées comme discriminatoires, et notamment celles reposant sur l'appartenance réelle ou supposée du collaborateur à une religion. 

Cependant, même l'article L.1132-1 du Code du Travail n'interdit pas pour autant les différences de traitement dès lors que celles-ci peuvent être justifiées, en particulier "lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée" (art. L.1133-1 C. Travail.).

Le cas des entreprises de tendance.

Et s'il est couramment admis que le fait religieux n'est en principe pas de nature à justifier des différences de traitement, il ne faut pas oublier cependant le cas des entreprises dites de tendance, c'est-à-dire les entreprises définies par P. WAQUET et L. PECAUT-RIVOLIER comme ayant "une orientation idéologique marquée, laquelle, connue de tous, peut imposer certaines obligations particulières aux salariés soumis par ailleurs aux règle du droit du travail : Eglises, écoles religieuses, syndicats, partis politiques, ..." (Pouvoirs du Chef d'entreprise et liberté du salarié, Ed. Liaison, 2014).

Le Droit du Travail pose-t-il un cadre minimum en matière de liberté religieuse au travail ? 

Le Code du Travail protège les libertés individuelles et collectives des salariés.

Oui. Le Code du Travail garantie les libertés individuelles et collectives des salariés notamment par les articles L.1121-1 et L.1321-3, tout en permettant à l'employeur de restreindre la liberté de chaque salarié de manifester ses convictions, en particulier religieuses, sous réserve que la restriction en question soit à la fois justifiée par la nature et la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché. Ces conditions s'apprécient bien évidemment au cas par cas, mais c'est généralement le cas par exemple pour les salariés travaillant en zone ATEX ou exerçant une mission dangereuse puisque l'on sait que le jeûne est de nature à diminuer la vigilance de celui qui le pratique.

Cependant, le Code du Travail permet l'instauration d'une règle de neutralité en entreprise.

Le nouvel article L.1321-2-1 ouvre à chaque chef d'entreprise la possibilité d'introduire dans son règlement intérieur des dispositions instaurant un principe de neutralité au sein de l'entreprise. Ce principe a notamment pour but et objectif de limiter l'expression des convictions personnelles des salariés, qu'elles soient de nature politique ou religieuse par exemple. 

Cependant, il convient de rappeler que si le chef d'entreprise dispose de la capacité d'encadrer la liberté d'expression de ses salariés, cette capacité est strictement encadrée et doit respecter des conditions précises pour être licite. 

Le Code du Travail n’a pas vocation à se substituer aux politiques de management internes.

Fort heureusement, le Code du Travail n’a pas -et n’aura jamais on l’espère en tout cas, vocation à se substituer aux politiques de management interne aux entreprises. Le contexte social, l’activité de l’entreprise, sa taille, son histoire et ses projets de développement sont autant d’éléments à prendre en considération afin de faire coïncider l’intérêt particulier de l’entreprise avec la règle générale.

Tout au plus peut-on synthétiser en rappelant que le droit français, et le Code du Travail en particulier, apportent aux questions liées à l’expression du fait religieux en entreprise des réponses fondées sur des principes laïcs : respect de l’obligation de protection de la santé et de la sécurité du chef d’entreprise, respect du contrat de travail tant par l’employeur que par le salarié, respect des principes de non discrimination.

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