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Covid19 : entreprises, il faudra choisir entre l'aide de l'Etat et vos dividendes !

Covid19 : entreprises, il faudra choisir entre l'aide de l'Etat et vos dividendes !
Le 29 mars 2020
Bruno LE MAIRE vient d'annoncer sur BFM que "Les entreprises qui demandent l'aide de l'Etat ne devront pas verser de dividendes".Fallait-il comprendre qu'une entreprise ayant demandé le report de ses échéances ne pourra pas bénéficier de l'aide de l'Etat?

"Les entreprises qui demandent l'aide de l'Etat ne devront pas verser de dividendes" a annoncé peut-être hâtivement ce 27 mars le ministre de l'économie Bruno LE MAIRE dans une interview sur BFM, ajoutant que "Les entreprises qui demandent l'aide de l'Etat avec le report de leurs charges fiscales et sociales et qui verseront des dividendes devront rembourser ces aides et elles auront des pénalités. Autre exemple : les entreprises qui veulent bénéficier de la garantie de l'Etat pour obtenir un prêt. Je refuserai de la donner à celles qui verseront des dividendes. C'est une question de responsabilité et de justice », à l’exception toutefois du chômage partiel. 

Alors bien sûr, on peut comprendre la volonté du Ministre de s'assurer que les entreprises qui demandent à bénéficier du soutien de l'Etat dans le cadre de la crise liée au coronavirus COVID19 cherchent effectivement à palier aux conséquences de la crise sur leur chiffre d'affaires... et non pas à "en profiter" pour s'enrichir frauduleusement. 

Il n'en demeure pas moins que cette annonce semble très maladroite dans ce qu'elle pourrait créer de nouvelles incertitudes dans un paysage d'ores et déjà fort flou pour les entreprises et leurs experts-comptables puisqu'elle laisse à penser que les entreprises qui auraient d'ores et déjà effectué les démarches de report de charges par exemple ne pourraient pas verser de dividendes à la fin de l'exercice sauf à en être pénalisé. Ce qui, dans un certain nombre de cas, s'avère complètement contraire au but général recherché par le Gouvernement dans le cadre de la loi d'urgence sanitaire, à savoir préserver coûte que coûte l'emploi.

Choisir entre l'aide de l'Etat ou verser ses dividendes : effet d’annonce ou sens des réalités ?

Si l’annonce semble répondre à un souhait de justice et responsabilité, il n’en demeure pas moins en effet qu’elle soulève de nombreuses questions pratiques et pourrait même générer une iniquité entre sociétés, d’où un certain scepticisme quant à la faisabilité de l’annonce.

Et ce qui est certain à cette heure, c'est l’inquiétude provoquée par cette annonce pour les TPE / PME, et ce dans un contexte déjà très instable associé à un manque de visibilité quant aux prochains mois d’activité.

Un choix impossible pour certaines opérations type LBO, qui reposent précisément sur la distribution de dividendes.

Qu'est-ce qu'une opération de LBO ?

En effet, nombre de structures d’exploitations sont cédées à des repreneurs au moyen d’une opération en LBO (Leverage Buy-Out ou Achat à Effet de Levier), laquelle consiste à créer une société mère appelée Holding, cette dernière s’endettant aux fins de racheter les titres de la société d’exploitation cible.

Cette Holding de rachat contracte donc des emprunts bancaires importants (appelés dette sénior), qui ne peuvent être remboursés qu’au moyen des dividendes générés par la société d’exploitation rachetée.

Ce montage, fréquemment utilisé, permet à des investisseurs de départ ne disposant pas de fonds propres suffisants de prendre le contrôle de la société cible.

Il n’est donc ici pas question de multinationales ou de sociétés à dimension nationale -pour lesquelles la mesure annoncée peut se comprendre, mais plus simplement de nombreuses TPE / PME, maillons de notre économie française. Or il est intéressant de rappeler à cet égard que les TPE / PME représentent 99.8% du nombre total des entreprises en France, et que par conséquent sans autre précision, c'est l'ensemble du tissu économique et productif français qui pourrait être frappé.

Pourquoi le versement de dividendes est obligatoires dans le cadre d'un LBO ?

Dans les opérations de LBO, les dividendes versés par la société d'exploitation ne sont donc pas perçus par des actionnaires avides de percevoir les rendements de leur investissement, mais bien par la Holding de rachat en vue du remboursement de cet emprunt d’acquisition.

L’absence de distribution de ces dividendes aurait donc pour effet inéluctable d’anéantir ces opérations de LBO, et d'amener nombre de repreneurs d’entreprises dans des situations très difficiles puisque qu'ils seront dans l’impossibilité de rembourser leur dette bancaire contractée au niveau de la société mère Holding.

Pour ces repreneurs, il est donc indispensable de poursuivre la politique de distribution de dividendes de la société d’exploitation, lesquels ont donc bien quasi exclusivement vocation à permettre le remboursement de dettes bancaires, et non pas à enrichir des rentiers à l’affût de rendements.

Par conséquent, la mesure annoncée par Bruno LE MAIRE tend à stigmatiser les sociétés d’exploitation au résultat bénéficiaire, sans distinguo quant à la motivation des dividendes distribués.

Une annonce stigmatisante pour les sociétés d'exploitation au résultat bénéficiaire sur 2019... même si elles sont aussi touchées de plein fouet par la crise du coronavirus en 2020.

Néanmoins, il n’empêche que ces sociétés d’exploitation subissent de plein fouet les effets de la crise sanitaire liée au Covid-19, ou, plus simplement, ne disposent pas d’une visibilité suffisante quant à son impact économique à moyen terme.

Or, une bonne gestion d’entreprise nécessite de préserver sa trésorerie en prévision de risques futurs ou (surtout) en l’absence de prévision, et ce même dans l’hypothèse d’une politique de distribution de dividendes.

Il conviendra donc de bien définir le champs d’application de ces éventuelles dispositions réglementaires pour rester dans la ligne définie par le Gouvernement et Emmanuel MACRON depuis le début de cette crise : "ne laisser personne sur le bord de la route".

Une annonce qui intervient comme une sanction a posteriori pour des entreprises d'ores et déjà durement touchées par la crise du coronavirus COVID19.

Cette annonce est gênante à d’autres égards, notamment à l’analyse du calendrier des événements.

Un calendrier d'annonces très (trop ?) précipité pour les entreprises.

En effet, au lendemain des 14 et 17 mars 2020 annonçant les mesures de confinement, le mot d’ordre du gouvernement était de préserver la trésorerie des entreprises coûte que coûte aux fins d’assurer le paiement des salaires en fin de mois.

Mais pour combien de mois ? nul ne savait, mais aucun ne croyait aux seuls 15 jours annoncés par le Président Emmanuel Macron. Or, à ce jour l’inconnu demeure… tant sur la durée du confinement que sur les facultés de l’économie à rebondir après un tel choc.

Par conséquent dès le 15 mars 2020 l’ordre des experts comptables, mais également les URSSAF et les banques, se sont mis en ordre de bataille avec pour seul objectif : préserver la trésorerie des entreprises afin d'éviter l’effondrement de l’économie.

Le lundi 16 mars, soit le lendemain de la prise d’effet des fermetures des commerces, représentait la date de prélèvement par les URSSAF et autres organismes des cotisations sociales dues par les employeurs et salariés. Or, le même jour était attendu au soir une allocution du Président de la République dont tous appréhendaient la gravité...

Dès lors la grande majorité des entreprises, en urgence et panique face à un confinement total annoncé et surtout dénué de toute prévenance, a pris la sage décision dès ce 16 mars de stopper le versement de leurs charges sociales et fiscales en conformité avec les préconisations gouvernementales.

Une mesure qui fait figure de sanctions et qui intervient a posteriori dans un contexte d'ores et déjà flou.

Et voilà la bombe. Car dans ces conditions, l'annonce de Bruno LE MAIRE plus de 10 jours après ces événements, viendrait in concreto sanctionner les entreprises ayant d'ores et déjà sollicité un report de leurs échéances par exemple, au regard d'une condition liée à la faculté des entreprises de sortir sereinement ou non (mais quand ?) de la crise... 

Cela reviendrait, pour les entreprises et donc particulièrement pour les PME/PMI que le Gouvernement s'est d'ores et déjà engagées à soutenir, à devoir choisir entre une absence de pénalité mais sous condition suspensive de ne pas sortir sereinement de la crise... ou une pénalité mais sous condition suspensive de sortir de la crise.

Soit un casse-tête de plus dans une situation déjà fort floue... 

Il aurait été plus intéressant, lors de ces annonces d’aides pour les entreprises, d'avertir ces dernières de ce traitement différentiel en fonction de leur faculté à rebondir au cours de leur exercice social.

Reste donc à voir comment l'annonce faite par Bruno LE MAIRE sur BFM sera retranscrite dans la réalité juridique... car pour l'instant, rassurons-nous, il s'agit d'une simple annonce qui, nous l'espérons, relève plus de la maladresse que d'une volonté pratique.

 

                                                                                Hélène DEHEUL, SAFIR

                                                                           DU Expert Gestion de patrimoine

                                                                                Master 2 Droit Social

                                                                               DESS Droit des Affaires

                                                                                   hdeheul@safir.net