Menu
Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Des chauffeurs d'UBER réclament la reconnaissance de leur qualité de salarié.

Des chauffeurs d'UBER réclament la reconnaissance de leur qualité de salarié.

Des chauffeurs d'UBER réclament la reconnaissance de leur qualité de salarié.
Le 16 janvier 2019
Les travailleurs d'Uber sont-ils des travailleurs déguisés ? La question est d'importance pour quelques 30 000 chauffeurs VTC aujourd'hui en France... mais aussi pour l'URSSAF ! Retour sur les premiers éléments de réponse avant le 11 mars 2019.

Salariés ou non salariés ? La question ne cesse de rebondir depuis quelques mois devant les juridictions françaises. Et si deux décisions avaient donné raison à la plateforme UBER, constatant de fait une simple relation commerciale entre les chauffeurs et la plateforme, la décision de la Cour de Cassation en date du 28 novembre dernier requalifiant le contrat d'un coursier à vélo travaillant pour la plateforme TAKE IT EASY en contrat de travail pourrait bien modifier la donne... Ce qu'espère sans doute les 9 chauffeurs UBER qui ont présenté le 18 décembre une demande identique devant le Conseil de Prud'hommes de Paris... et avec eux leurs quelques 30 000 collègues en France. 

Neuf chauffeurs d'UBER souhaitent faire reconnaître leur statut de salariés.

Pourquoi les chauffeurs d'UBER souhaitent faire reconnaître leur qualité de salariés UBER ?

Ils habitent Paris ou la banlieue parisienne. Ils sont chauffeurs depuis quelques mois, parfois une dizaine d'année. Lionel, Yassine* et les autres se sont présentés mardi 18 décembre, parfois dans leurs costumes de travail, dans une salle du Conseil des Prud'hommes de Paris bondée et surchauffées, accompagnés de leurs avocats et soutenus par le syndicat SCP-VTC qui les accompagne depuis plus d'un an et demi. 

Leur but ? Faire reconnaître leur qualité de salarié de la plateforme d'UBER afin d'obtenir une mutuelle correcte, des congés payés et l'ensemble des droits sociaux auxquels ont droit les salariés (ceux que beaucoup pensent être la norme). 

Pourquoi les chauffeurs d'UBER n'étaient pas reconnus comme salariés jusqu'à présent ?

Jusque très récemment, une jurisprudence constante estimait que quatre conditions devaient être réunies afin de qualifier un contrat de contrat de travail : l'existence d'un contrôle horaire de la part du présumé employeur, l'existence d'un lien de subordination d'un lien d'exclusivité et de non-concurrence et d'une dépendance économique entre les parties. A défaut, point de contrat de travail. 

Deux arrêts récents rendus par le même Conseil de Prud'hommes de Paris estimaient que ces critères n'étaient pas réunis entre les chauffeurs VTC et leur plateforme commerciale, renvoyant donc les chauffeurs requérants à se pourvoir devant une juridiction commerciale. 

La Loi Avenir Professionnel avait d'ailleurs semblé vouloir confirmer cette analyse en indiquant qu'en cas d'établissement d'une "charte des droits sociaux" entre les travailleurs et la plateforme commerciale (UBER, DELIVROO, TAKE EAT EASY, ...), la requalification en salariat était impossible. Une disposition que le Conseil Constitutionnel avait rétorqué en tant que cavalier législatif -mais qui réapparaît dans le projet de loi mobilités du Gouvernement... 

Les chauffeurs UBER ont-ils des chances d'être reconnus comme salariés ?

Une nouvelle jurisprudence plus favorable aux chauffeurs VTC

"L'environnement juridique a été modifié" analyse Me TEISSONNIERE, défenseur des chauffeurs UBER requérant. "Dans son arrêt du 28 novembre, la Cour de Cassation a modifié les critères définissant les liens de subordination entre un travailleur indépendant et une plateforme, et cela nous donne des arguments supplémentaires".

Et de fait, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a rendu un verdict très novateur en date du 28 novembre 2018, estimant que le requérant, ancien livreur de la plateforme TAKE IT EASY liquidée en 2016, était bien titulaire d'un contrat de travail dans la mesure où "le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné", la plateforme disposant d'un système de géolocalisation et d'un régime de sanction notamment.

"Avec le numérique, les plateformes ont réinventé le système du travail à la tâche que vivaient les canuts au XIXème siècle", explique encore l'avocat des neuf chauffeurs VTC. "Comme aujourd'hui, c'est travailleurs détenaient leur outil de travail, mais étaient totalement soumis à leurs donneurs d'ordre. Aujourd'hui, nous avons les moyens juridiques de le démontrer pour les chauffeurs VTC".

Des éléments concrets qui donnent de vraies chances aux chauffeurs et livreurs pour voir reconnaître leur lien de subordination. 

Si la plateforme UBER est directement concernée par l'action de classe, il n'en demeure pas moins que d'autres sociétés telle que DELIVEROO par exemple devraient également s'inquiéter. En effet et très concrètement, que ce soit UBER ou DELIVEROO, toutes ces sociétés mettent en place de nombreuses obligations ou incitations à peine voilées envers leurs travailleurs et qui pourraient, à terme, permettre aux tribunaux de reconnaître une relation salariale en lieu et place de la relation commerciale que prône aujourd'hui UBER. 

TAKE IT EASY a fait valoir devant le Conseil la flexibilité et la liberté totale de choix des horaires de ses conducteurs, conditions suffisantes selon la plateforme pour démontrer l'absence de subordination. Cependant, la Haute Juridiction a suivi le livreur requérant en reconnaissant que l'application utilisée par la plateforme était équipée d'un système de tracking permettant une localisation en temps réel des coursiers, ainsi que d'un système de sanctions notamment en cas d'absence de répondre au téléphone pendant les plages définies, l'incapacité à réparer une crevaison ou le refus d'assurer une livraison. 

Des principes à l'évidence transposables aux chauffeurs d'UBER. "Cette décision est complète et détaillée. Elle vous nous aider à plaider pour d'autres cas devant les prud'hommes. Nous pourrons y dire, regardez, c'est la plus haute juridiction française qui s'est prononcée sur cette question" s'enthousiasme Maître Thierry VALLAT, avocat inscrit au Barreau de Paris. 

"UBER garde la main sur tout" selon les chauffeurs requérants.

L'un des neuf chauffeurs UBER requérant la reconnaissance de la qualité de salarié a expliqué aux juges qu'en tant que conducteur UBER, il ne connaissait pas la destination finale du client lorsqu'il acceptait une course. Seul le lieu de prise en charge était connu, ainsi que le tarif -également imposé par UBER qui a par ailleurs augmenté sa commission de 20 à 25% du prix de la course sans consultation préalable.

"UBER constitue une frontière étanche entre le client et le chauffeur. C'est cette société de transport qui encaisse la totalité de la course" résume pour sa part Me TEISSONIERE. "Ces chauffeurs ont pensé qu'ils allaient être autonomes et indépendants, mais ce sont des travailleurs contraints ! Ils ont investi et aujourd'hui, ils sont poursuivis par le fisc !" tonne-t-il encore.

Or, comme les livreurs TAKE EAT EASY, les chauffeurs UBER sont soumis à un système de surveillance par géolocalisation ainsi qu'à un régime de sanction.

Ainsi, "une note par les clients inférieure à 4,5/5 vaut un rappel à l'ordre" explique Maître Sylvie Topaloff, second avocat des chauffeurs, le chauffeur pouvant être déconnecté "d'office" s'il ne rétabli pas rapidement la situation, ce qui pourrait s'apparenter ni plus ni moins qu'à une mise à pied qui ne dirait pas son nom. 

Simple relation commerciale, répondent les avocats d'UBER.

Une analyse que ne partagent évidemment pas les avocats de la plateforme, qui affirment pour leur part que si "l'algorithme détecte trois refus de prise en charge alors que vous êtes connectés, il en déduit que vous êtes allés déjeuner ou êtes en train de travailler pour une autre plateforme. Il vous déconnecte, mais vous pouvez vous reconnecter d'emblée". 

"Aujourd'hui, nous avons une relation commerciale avec les chauffeurs qui utilisent la plateforme, justifie UBER. Or, dans toute relation commerciale, il existe des obligations pour les deux parties. Un régime de sanctions, qui inclut la déconnexion, est appliqué par la société quand certaines clauses ne sont pas respectées par les chauffeurs". 

"La présomption de non-salariat s'applique pour chacun d'entre eux" estime Maître GAILLARD pour UBER. "Ce n'est pas un procès contre UBER, mais bien un procès contre l'économie de plateforme. UBER ne favorise pas la préconisation de l'emploi. Allez voir sur les ronds-points, demandez le aux Gilets Jaunes !" a-t-il encore osé.

Quelles sont les conséquences attendues de ce changement de jurisprudence ? 

"Nous sommes en train de faire bouger les lignes".

Concrètement, le 11 mars, le Conseil de Prud'hommes devra d'abord se prononcer sur sa compétence dans le dossier. En clair, la question est-elle devenue une question salariale, ce qu'espèrent les chauffeurs, ou reste-t-elle une question commerciale, ce qu'attend UBER. 

Peu importe pour Sayah Baaroun, du syndicat SCP-VTC. "Cela fait un an et demi que la procédure est enclenchée, mais nous arrivons enfin au tribunal, une première étape très importante. Derrière, il y en aura d'autres. L'appel, voire la Cour de Cassation. Mais nous sommes en train de faire bouger les lignes" se réjouit-il. 

Un changement de modèle attendu des plateformes... mais aussi du Gouvernement.

Quelle que sera la décision qui sera rendue le 11 mars par le Tribunal de Prud'hommes de Paris, force est de reconnaître qu'en effet, la pression vers une reconnaissance de la qualité salariale des chauffeurs et livreurs travaillant pour une plateforme commerciale est de plus en plus forte. 

Par conséquent, il y a fort à parier qu'elles vont sûrement réviser leur modèle. "Soit certaines vont progressivement faire le choix de signer de vrais contrats de travail avec leurs chauffeurs et livreurs, soit elles vont s'arranger pour faire diminuer toute trace de ce qui peut s'apparenter à de la subordination" anticipe Me VALLAT. 

Un pivot que le Gouvernement pourrait bien aussi se voir contraint de faire, tant il est probable selon l'avocat que le Conseil Constitutionnel retoquera de nouveau sa disposition visant à éviter les requalifications au profit des plateformes contenue dans la Loi mobilités.

Une requalification qui devrait ravir les chauffeurs... mais aussi l'URSSAF !

En mars dernier, l'inspection du travail et l'URSSAF avaient estimé que DELIVEROO employait de classiques salariés, non des travailleurs indépendants, et que ces derniers ne devaient pas se déclarer en tant que micro-entrepreneurs. Montant des cotisations non versées en 2015 et 2016 estimé par l'URSSAF ? Plus de 6,4 millions d'euros selon Médiapart.

"Puisque l'URSSAF ne va pas cracher sur de nouvelles rentrées d'argent, elle ne va sans doute pas se priver de cet arrêt de la Cour de Cassation qui va dans son sens" prophétise enfin Thierry VALLAT.

Verdict le 11 mars donc. 

                                                                                        Ingrid Tronet

                                                                Tronet Conseils, ingénierie RH et développement.