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La réforme Pénicaud du Code du Travail en 10 points clefs.

La réforme Pénicaud du Code du Travail en 10 points clefs.
Le 10 juillet 2017
Le projet de loi d'habilitation réformant le droit du travail est examiné à l'Assemblée Nationale ce 10 juillet. Ce qu’il faut en retenir, en 10 points clefs.


Ce 10 juillet débute à l’Assemblée Nationale l’examen du projet de loi d’habilitation portée par Madame Muriel Pénicaud et visant à réformer le Code du Travail. Une procédure bien particulière, qui permet d’aller vite, loin des traditionnels débats parfois sans fin de l’Assemblée Nationale, tout en respectant la démocratie.

Alors bien sûr, ce projet est à compléter. Il donne cependant une sérieuse indication sur les orientations gouvernementales.

Qu’est-ce qu’une loi d’habilitation ?

Pour faire court : une loi d’habilitation est une coquille vide. C’est un texte, en principe court, qui fixe le cadre au sein duquel le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance, c’est-à-dire le périmètre d’action au sein duquel le Gouvernement pourra prendre des mesures dans des matières relevant normalement du Parlement, mais sans passer par l’Assemblée Nationale.

Cependant, conformément à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement doit y avoir été autorisé par le Parlement. Ensuite, il dispose de 3 mois pour soumettre au Parlement une loi de ratification qui validera a posteriori les mesures prises, c’est-à-dire les ordonnances.

Si le Gouvernement ne dépose pas la loi de ratification dans les temps ou si le Parlement la rejette (hypothèses hautement improbables ici), les ordonnances seront réputées caduques. En revanche, si le Parlement adopte la loi de ratification, les ordonnances entrent définitivement dans le domaine de la Loi.

La Loi d’habilitation, une bonne méthode ?

Une Loi d’habilitation permet d’aller vite, tout en respectant le débat démocratique. Les syndicats contestent la méthode dans la mesure où ils estiment que c’est seulement le 20 août qu’ils seront informés du contenu des ordonnances, et donc mis devant le fait accompli. Ils dénoncent donc un passage en force.

Pourtant, des consultations seront organisées par le Gouvernement comme dans toute démocratie raisonnée – ce troisième « round » des concertations débutait d’ailleurs aussi aujourd’hui. La seule différence, c’est que nous n’aurons pas à attendre que tout le monde, tous les syndicats, ceux des salariés et ceux des patrons, soient d’accords, au risque d’accoucher de réformes tièdes comme cela a été le cas ces dernières années.

Aujourd’hui, c’est de vitesse qu’employeurs et salariés ont besoin. Il est urgent qu’embaucher, en particulier en CDI, ne soit plus un risque pour les entreprises. Urgent de redonner de la souplesse et de la flexibilité, mais aussi de la sécurité aux acteurs du marché du travail. En bref, il est de donner enfin aux entreprises les outils pour bouger vite, et aux salariés de retrouver du travail vite.

Or, pour aller vite, il faut trancher. Et trancher, c’est gouverner ! Muriel Pénicaud compare elle-même ce projet de loi à un « menu de restaurant » et le Conseil d’Etat a relevé, dans son avis rendu le 28 juin, qu’il contient « des ordonnances sur des sujets d’une portée et d’une complexité inégales ».

Alors oui, ce projet reste à compléter. Toutefois, il donne de sérieuses indications sur les orientations du Gouvernement. En voici quelques-unes.

Une plus grande place accordée à l’accord d’entreprise pour être « plus près du terrain ».

Aujourd’hui, l’accord de branche prime sur l’accord d’entreprise sauf dans 37 matières liées notamment aux questions relatives à la durée du temps de travail dans lesquelles c’est l’accord d’entreprise qui prime sur l’accord de branche. Le Gouvernement souhaite revoir cette architecture afin de donner plus de souplesse aux entreprises et être plus en phase avec les réalités économique de chaque entreprise.

Concrètement, c’est une architecture en 3 niveaux qui se dégage du projet de loi. Le premier niveau regrouperait les domaines pour lesquels l’accord de branche continuerait de primer de manière impérative sur l’accord d’entreprise (minimas conventionnels, classification des métiers, mutualisation des fonds de la formation professionnelle, des fonds de prévoyance, égalité hommes/femmes, les conditions de recours aux contrats courts ou aux CDI de chantier, …). On notera que la pénibilité ne serait plus concernée par ce niveau impératif.

Le second niveau regrouperait des domaines que la branche pourrait « verrouiller », c’est-à-dire des domaines où l’accord de branche pourrait primer sur l’accord d’entreprise, mais sans que cela ne soit impératif. Le handicap, les conditions et moyens d’exercice d’un mandat syndical et la pénibilité, notamment, feraient parties de ce second niveau.

Le troisième niveau, enfin, concernerait tous les domaines où l’accord d’entreprise pourra primer sur l’accord de branche. Sans surprise, les domaines concernés seront tous ceux qui n’ont pas été nommés aux niveaux précédents.

Une restriction du périmètre du licenciement économique.

Ce changement figurait déjà dans la Loi El Khomri. Cependant, il avait été abandonné sous la pression des députés de gauche. Concrètement, aujourd’hui lorsqu’un groupe international lance un plan de licenciement en France, le Conseil des Prud’hommes apprécie les difficultés économiques non pas seulement à l’aune des difficultés rencontrées sur les sites français, mais bien sur l’ensemble des sites du groupe dans le monde entier, l’objectif clairement visé étant de permettre aux salariés d’être mieux indemnisés et de restreindre les volontés de licenciement.

Le projet ne précise pas clairement quelle zone sera finalement retenue (le périmètre de la France seulement, celui de l’Europe, …). Cependant, il précise déjà qu’en cas de licenciement économique, le groupe international concerné devra « prendre toutes les dispositions de nature à prévenir ou tirer les conséquences de la création artificielle ou comptable de difficultés économiques à l’intérieur d’un groupe à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois ».

De même, les modalités de licenciements collectifs devraient être « adaptées à la taille de l’entreprise et aux nombre de ces licenciements ». On imagine clairement que le seuil de déclenchement du PSE pourrait être revu à la hausse, le magazine Alternatives Economiques précisait dans son numéro en date du 16 juin dernier que ce seuil serait relevé de 10 à 30 salariés sur une période de 30 jours (information à prendre évidemment avec toutes les réserves d’usage).

Généraliser la Délégation Unique du Personnel (DUP) prévue par la Loi Rebsamen.

Depuis juin 2015 et la Loi Rebsamen, les entreprises de moins de 300 salariés avait la possibilité de fusionner par accord d’entreprise le Comité d’Entreprise (CE), le Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les délégués du personnel en une seule entité appelée Délégation Unique du Personnel (ou DUP).

L’objectif de l’ordonnance est de généraliser cette possibilité à toutes les ordonnances. Le projet d’ordonnance précise sur ce point « qu’il faudrait déterminer les conditions dans lesquelles l’instance [pourrait] également exercer les compétences en matière de négociation des conventions et accords de groupe, d’entreprise et d’établissement », même si Muriel Pénicaud a précisé dès le 28 juin que le rattachement des délégués syndicaux à cette DUP ne serait pas obligatoire.

Plafonner les indemnités aux Prud’hommes en cas de licenciement.

Là encore, la mesure n’est pas nouvelle, même si ses contours actuels restent très flous.

Elle avait été proposée lors du quinquennat de François Hollande par un certain… Emanuel Macron. Il s’agit ici aussi de sécuriser les relations de travail en donnant de la visibilité aux entreprises en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en « encourage[ant ] le recours à la conciliation devant la juridiction prud’homale en modifiant les règles de procédure applicables durant cette phase ».

Le projet de loi d’habilitation propose un référentiel obligatoire établi notamment en fonction de l’ancienneté, mais qui ne serait pas obligatoire pour tous les licenciements « entachés par une faute de l’employeur d’une particulière gravité » (on se souvient que la formule initiale se limitait aux seuls harcèlement et discrimination, le texte a donc été élargi).

Limiter le risque du licenciement pour les entreprises.

Toujours dans l’optique de sécuriser les relations de travail, le Gouvernement souhaite adapter « les règles de procédure et de motivation » pour les licenciements afin de mieux « tirer les conséquences du manquement éventuel de celles-ci ».

En effet, Muriel Pénicaud, notre Ministre du Travail, relevait qu’ »il y a 150.000 contentieux aux prud’hommes liés au licenciement. Un certain nombre d’entre eux sont liés à des vices de forme. Une petite erreur de forme dans la lettre d’exposé des motifs peut avoir des conséquences terribles pour les employeurs. Cela ne touche pas beaucoup d’entreprise, mais c’est symbolique ».

On retiendra que cela concerne surtout les plus petites entreprises, c’est-à-dire celles pour lesquelles les « conséquences terribles » peuvent être les plus dures financièrement, conduisant parfois certaines au dépôt de bilan. Indirectement donc, limiter le risque du licenciement pour les entreprises c’est aussi une manière de sécuriser l’emploi…

Un élargissement du CDI de Projet (ou CDI de chantier).

Le CDI de projet (ou CDI de Chantier), est un CDI qui confère à son titulaire les mêmes avantages qu’un contrat à durée indéterminée, mais qui prend fin avec le chantier pour lequel il avait été recruté.

A priori ce seront les branches et elles seules qui décideront de cet élargissement et non pas les entreprises comme cela avait pu être évoqué.

Harmonisation de l’articulation entre accords collectifs et contrats de travail.

Aujourd’hui, lorsqu’un salarié refuse de se voir appliqué un accord de maintien à l’emploi (AME), il peut profiter d’un licenciement économique ainsi que des mesures d’accompagnement spécifiques qui vont de pair avec. Ce n’est le cas, en revanche, si ce même salarié refuse de signer un accord de mobilité ou un accord de préservation et développement de l’emploi (ADPE).

Le Gouvernement souhaite harmoniser cette articulation, l’ordonnance prévoyant notamment la révision du régime juridique de la rupture du contrat de travail « en cas de refus par le salarié des modifications de son contrat issues d’un accord collectif ».

Concrètement, le Gouvernement d’Edouard Philippe souhaite qu’une seule règle soit appliquée en cas de refus d’un salarié de se voir appliquer tout accord collectif quel qu’il soit. Et si pour le moment le texte manque de précision, les derniers échanges semblent exclure la règle du licenciement économique (information à prendre avec toutes les réserves de rigueur).

La révision du compte pénibilité.

Il s’agit de l’une des revendications du patronat, clairement hostile au compte pénibilité. Il faut reconnaître que le dispositif est aujourd’hui extrêmement complexe, au point que Muriel Pénicaud l’a elle-même qualifié « d’usine à gaz ».

L’objectif du Gouvernement est donc « modifier les règles de prise en compte de la pénibilité au travail » en adaptant notamment les facteurs de risques professionnels, les modes de préventions, les obligations de déclaration ainsi que les modalités de financement et de compensation.

Le système devrait donc être revu en profondeur. Il ne figure d’ailleurs déjà plus dans la liste des domaines du niveau 1, c’est-à-dire des domaines relevant impérativement d’un accord de branche.

L’éventuel référendum d’entreprise à l’initiative des employeurs.

La Loi El Khomri avait là encore envisagé cette possibilité, avant de reculer face à la pression des syndicats qui y voient « une ligne rouge » et de n’autoriser cette possibilité qu’aux seuls syndicats justement.

Or, si le projet de loi d’ordonnance ne mentionne pas expressément le recours à un référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur, il prévoit en revanche expressément de « faciliter les conditions de recours à la consultation des salariés pour valider un accord ».

Il faudra sans doute attendre le 20 août pour savoir précisément quelle(s) forme(s) prendra cette facilitation, mais beaucoup d’observateurs envisagent d’ores et déjà la mise en place d’un tel référendum…

La mise en œuvre du prélèvement à la source reportée au 01 janvier 2019.

La mesure avait déjà été annoncée dès le début du mois de juin par Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des comptes publics. Et, effectivement, l’observateur attentif aura noté que cette mesure dépend davantage de Bercy que du Ministère du Travail.

Cependant, le texte de l’ordonnance prévoit effectivement que le gouvernement pourra prendre par ordonnance « toute mesure propre à permettre de décaler d’un an, au 1er janvier 2019, l’entrée en vigueur de la mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ».