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Pourquoi obtenir un arrêt maladie via internet ne serait pas une bonne idée ?

Pourquoi obtenir un arrêt maladie via internet ne serait pas une bonne idée ?
Le 08 janvier 2020
A peine en ligne, déjà dans la ligne de mire ! Tout droit venu d'Allemagne, le site arretmaladie.fr mis en place mardi a été saturé dès le premier jour, tandis que le CNAM annonce sa décision d'engager une procédure en référé.

C'est pour le coup une entrée fracassante que celle du site arretmaladie.fr ! Mis en ligne le 07 janvier 2020 par son fondateur, l'avocat et homme d'affaires allemand Can ANSAY, la plateforme propose en effet aux internautes d'obtenir "un arrêt maladie sans se déplacer, 100% valide, remboursable, rapide et sécurisé". Saturée dès le premier jour, la plateforme de télémédecine fait d'ores et déjà l'objet d'une mise en demeure pour cessation d'activité.

Au-delà de sa légalité, ce site est-il réellement utile ? Les arrêt maladie prescrits sont-ils réellement remboursables, ou bien est-ce que tout ceci ne serait, finalement, que beaucoup de bruit pour rien comme disait le poète ? 

Peut-on réellement obtenir un arrêt maladie remboursable par la sécu sur internet et sans médecin ?

Que propose vraiment le site arretmaladie.fr ?

La plateforme de téléconsultation est née en Allemagne. En un an via le site au-schein.de plus de 30 000 arrêts maladie ont été prescrits, des arrêts maladies pour une durée maximum de 3 jours et destinés à lutter contre les petits bobos. En Allemagne, où le modèle économique est plus restreint, le site permet de prescrire de courts arrêts maladie pour 4 petits maux du quotidien : le coup de froid, les règles douloureuses, le stress et la gastro-entérite.

En France, les ambitions annoncées sont plus fortes. Pour Can ANSAY, fondateur du site, avocat et entrepreneur allemand "notre objectif pour la France, en 2020, est de 50 000 arrêts de travail, car ici les téléconsultations sont remboursées et il devrait y avoir plus de demande." A la question "choisissez votre maladie", le site propose donc en plus des désordres tels que "grippe", "cystite", "douleur de dos" ou "migraine". 

"Si vous allez chez le docteur et que vous souhaitez un faux certificat en simulant que vous n'allez pas bien, le médecin n'a pas les moyen de le savoir" justifie Can ANSAY. "Nous souhaitons résoudre le problème des nombreuses visites chez le médecin en raison d'un simple arrêt de travail pour courte durée. Pour résoudre ce problème, la Norvège a autorisé les salariés à "s'auto-arrêter" pour quelques jours, ce qui a réduit le nombre de jours d'absence pour cause de maladie. Notre solution offre les mêmes avantages, mais prend en compte les préoccupation de toutes les personnes impliquées"

Les arrêts prescrits sont toujours courts, 3 jours maximum, et, afin de limiter les abus (tout de même), un même numéro de sécurité sociale ne peut recourir au site qu'une fois toutes les trois semaines et dans la limite de 4 arrêts par patient par an via le site. La prestation coûte 25 €, le site n'accepte pas la carte Vitale, mais arretmaladie.fr estime que la téléconsultation devrait être remboursée.

Can ANSAY lui-même, avocat et docteur en droit, précise dans une interview que "En tant qu'avocat, après consultation auprès de confrères français spécialisés, je me suis assuré que les arrêts maladies délivrés par notre service sont 100 % valables." Valables, certainement puisqu'ils sont délivrés par des médecins. Mais remboursables par la Caisse Nationale d'Allocation Maladie ?... Rien n'est moins sûr...

Comment obtenir un arrêt maladie via le site arretmaladie.fr ? 

La procédure est d'une déconcertante facilité et se décompose en 3 étapes : un questionnaire d'une vingtaine de questions à choix multiples (choisir votre maladie, température, symptômes, antécédents, ...), une téléconsultation (une fois le questionnaire et le numéro de sécurité sociale envoyés, l'un des deux médecins du site rappelle l'internaute), et, enfin, la délivrance ou pas, en pdf téléchargeable, du fameux arrêt maladie. 

Car Can ANSAY prévient : "Il est hors de question de délivrer systématiquement un arrêt maladie." Se voulant rassurant, le fondateur du site rappelle qu'"Au bout de la chaîne, il y a un médecin qui décide de donner suite ou pas à la demande du patient en fonction de la consultation".

"Il peut être très difficile d'obtenir une consultation médicale pour certaines personnes, si elles habitent à la campagne par exemple. Un souci déontologique se poserait au contraire si on décidait de ne pas faire bénéficier les patients de notre solution" explique-t-il encore dans une interview donnée au Figaro. A l'envolée du Dr Jean-Paul HAMON du FMF, "ce site est une honte, c'est la caricature du soin", Can ANSAY estime que son site est une bonne solution pour désengorger les médecins et encourager les salariés à ne pas aller au travail lorsqu'ils sont souffrants, ceci afin d'éviter de propager des maladies comme la fameuse gastro entérite hibernale sur le lieu du travail.

"Beaucoup de médecins veulent collaborer avec nous, en France comme en Allemange" insiste l'homme d'affaires sans pour autant préciser le nombre de ces médecins qui se réjouit par ailleurs du battage médiatique et des menaces de poursuites judiciaires. "Il est bon que le système de santé français saisisse la justice pour monter la légalité de mon site

Pourquoi le site arretmaladie.fr fait-il débat ?

L'arrêt maladie prescrit via arretmaladie.fr est-il valable ? 

A la vérité, on peut se le demander. Certes, les arrêts maladie sont délivrés par un "vrai" médecin, assisté dans son diagnostic par un algorithme qui analyse le questionnaire rempli par le patient. "L'exemple de notre site en Allemagne montre qu'avec les 30.000 arrêts maladie que nous avons prescrits en un an, nous n'avons eu aucune plainte" indique le fondateur du site, qui n'hésite pas à préciser que 62% des français iraient au travail alors qu'ils sont malades alors que "ce type de demande par internet pourrait permettre de réduire la transmission des maladies sur le lieux de travail". 

Et pourtant, force est de constater que ce service est très loin de respecter les règles d'une consultation médicale conventionnelle. Le nom même du site ne laisse planer que très peu de doutes sur l'objectif poursuivi : obtenir un arrêt maladie. Quant à la démarche, elle-même laisse perplexe : a priori, lorsqu'on va voir un médecin, c'est pour présenter ses symptômes et obtenir un diagnostic ; pas pour lui présenter la maladie que l'on estime avoir et obtenir un arrêt maladie... 

Une critique que Can ANSAY semble avoir déjà entendu puisque depuis mardi, l'onglet "choisissez votre maladie" a été sobrement rebaptisé "commencez maintenant".

"Ce sont des gens qui se font de l'argent sur le dos des citoyens et de la Sécurité Sociale" a tempêté la Ministre du travail Muriel PENCAUD  au micro de RMC-BFMTV. "Avec une contre-visite, vous allez vite voir si c'est bidon -et si oui, ce sera interdit".

L'arrêt maladie prescrit via arretmaladie.fr est-il remboursé par la sécurité sociale ? 

Can ANSAY en est certain et le site arretmaladie.fr le précise : en plus d'être simple et "100% valide", l'arrêt maladie qu'un internaute se procure sur le site est "remboursable". Saut que rien n'est moins sûr. 

Que "des plateformes commerciales profitent soit de vides juridiques, soit du fait que le numérique avance plus cite que la loi, ça pose problème, car la médecine n'est pas le problème" selon le Dr Jérôme MARTY (UFML), il n'empêche que la Caisse Nationale commence à être rodée sur la question.

Et en effet, Nicolas REVEL, Directeur Général de la CNAM, a indiqué dans un communiqué que "La CNAM tient à alerter les assurés sur le fait que la prise en charge par l'Assurance Maladie des télé consultations appelle le respect d'un certain nombre de conditions, qui ne sont pas remplies en cas de recours à ce site". Il est à noter que l'Assurance maladie a déjà refusé le remboursement de consultations à un site similaire.

Pour mémoire, pour que les consultations à distance soient prises en charge, il faut effectivement que le médecin ait déjà vu le patient en consultation physique dans les 12 mois qui précèdent la télé consultation. Celle-ci doit, en outre, avoir fait l'objet d'un avis favorable préalable de la part du médecin traitant. Seule exception : si le patient n'a pas de médecin traitant ou si celui-ci est indisponible dans un délai compatible avec l'état de santé du patient -auquel cas, il convient de se tourner vers une organisation coordonnée territoriale telles que les maisons de santé par exemple. 

Pourquoi le site arretmaladie.fr, posant la délivrance d'arrêts maladie de courte durée sur internet relance-t-il la polémique relative à la télémédecine ?

Il n'empêche que le site arretmaladie.fr relance la polémique que se livrent maintenant depuis plusieurs mois les syndicats de médecins et les entreprises de télémédecine, les premiers mettant en avant "les risques de dérives" au titre desquels la "marchandisation" de la santé des seconds. "Il faut durcir l'avenant 6 de la Convention Médicale [NDLR régissant notamment les conditions de pratique et de remboursement des téléconsultations] Toutes les plateformes contournent le parcours de soins en posant la question : 'avez-vous eu du mal à joindre votre médecin traitant ?' Et ensuite, ils peuvent prétendre au remboursement" s'indigne le Docteur Jean-Paul HAMON, Président de la Fédération des Médecins de France (FMF). 

Pour lui, "il faudrait que la téléconsultation ne soit réalisation que dans quatre cas : dans les îles, dans les déserts de spécialistes comme la Creuse, dans les EHPAD pour éviter les hospitalisations et uniquement avec des patients connus.". Un avis que partage le Dr Jean-Paul ORTIZ (CSMF), qui milite pour "un encadrement plus précis pour la téléconsultation faire par un médecin qui ne suit pas habituellement le patient". 

Or, ce débat intervient au moment où est débattu un nouveau projet d'avenant (ce sera l'avenant 8) dont l'objet est justement de préciser les contours de l'avenant 6 en particulier quant aux conditions dérogatoires permettant aux start-up de proposer des téléconsultations remboursées par la Sécurité Sociale. En l'état de nos informations, ce texte très technique qui devrait bientôt être signé par l'Assurance Maladie et les médecins libéraux revoit les processus de validation des projets de télémédecine à l'échelle nationale et territoriale, et prévoit notamment un encadrement très précis des consultations réalisées par un médecin autre que le médecin traitant.

Autant dire que le site arretmaladie.fr ne fait donc pas les affaires non plus des sociétés de téléconsultations récemment lancées sur le marché français et attaquées par les syndicats de médecins. "Nous sommes attérés par cette initiative qui vient réduire à néant les efforts que nous faisons pour travailler en toute confiance avec les autorités. (...) Notre organisation a justement pour but de partager les bonnes pratiques de la télémédecine en matière de prescription, de projets médicaux ou encore de conditions d'emploi des médecins" explique, dépité, le Dr Maxime CAUTERMAN, Directeur médical de LIVI et membre du Bureau du LET, jeune syndicat qui regroupe les plateformes de télémédecine. 

A noter que si le LET n'a a priori pas choisi de s'associer à la plainte déposée par la CNAM et le Conseil de l'Ordre des Médecins ni d'attaquer en justice lui-même le site arretmaladie.fr, il n'en demeure pas moins qu'il a refusé d'ouvrir sa porte à Can ANSAY qui venait d'y frapper... 

Pourquoi la délivrance d'un arrêt maladie sur internet est, en réalité, fausse bonne idée ? 

"Les arrêts de travail ne sont pas des produits de consommation".

Bien évidemment, dès fin 2018 et la publicité autour de la mise en ligne d'un tel site, médecins et Assurance Maladie étaient montés aux créneaux, vent debout contre une telle "marchandisation des soins".

Si la téléconsultation n'est pas interdite en France, même si un Décret de 2019 l'a limitée aux médecins connaissant déjà le patient, c'est l'aspect commercial et la promotion autour du site qui ne passent pas pour les professionnels de la santé. "Ce site s'écarte de la déontologie médicale" s'insurge Nicolas REVEL, pour lequel "il est éthiquement critiquable de faire la promotion d'un site à partir de la promesse de l'obtention facilitée d'un arrêt de travail. les arrêts de travail ne sont pas des produits de consommation susceptibles d'être distribués sur demande des patients". 

Même critique du côté des médecins. Le Dr Jérôme MARTY, président de l'UNION FRANÇAISE POUR UNE MÉDECINE LIBRE (UFML), dénonce ainsi lors d'une interview sur BFM TV "une marchandisation du système de soin qui fait passer le patient pour un client et le médecin comme un prestataire de service", tandis que pour le Dr Agnès GIANOTTI, médecin généraliste et vice-présidente du syndicat MG FRANCE "ce service se fait au détriment de la télémédecine quand elle est utile. Quand elle est utile, c'est en lien avec le médecin traitant". 

C'est pourquoi la CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE MALADIE (CNAM), "en lien avec le Conseil de l'Ordre des Médecins" a indiqué qu'elle allait "mettre en demeure immédiatement le site de cesser ses activités et engager également à cette fin, une action en référé". Ce dont l'homme d'affaire venu de Hambourg se dit "finalement plutôt satisfait" puisque "si la CNAM n'a trouvé que cela pour nous critiquer, c'est positif. Tant que la qualité de nos prestations est garantie et reconnue, tout va bien !"

Les arrêts maladie courts ne sont pas remboursés au titre de la carence.

Can ANSAY a beau avancer qu'en Allemagne, les salariés se sont auto régulés ou qu'en Norvège, la loi autorise les salariés à s'auto-arrêter pour de brèves périodes, il n'en demeure pas moins que la France n'est ni l'Allemagne, ni la Norvège. 

En l'espèce, rien ne permet de distinguer un certificat délivré par la plateforme arretmaladie.fr d'un certificat médical obtenu à la suite d'une consultation "classique". Bien sûr, Can ANSAY vante le fait que les salariés sont souvent découragés par l'idée de perdre du temps ou par la difficulté de se rendre chez leur médecin traitant habituel (par exemple en cas de fièvre) et préfèrent souvent aller au travail même malades au risque de propager certaines maladies sur le lieu de travail, faisant d'ailleurs des français les champions du sur présentéisme en Europe !

Néanmoins, il serait réducteur de croire que si 62% des français va travailler tout en étant malade, c'est uniquement par peur de représailles de la part de son employeur, peur de perdre son emploi, peur des commérages, des signes de faiblesse ou même par simple culpabilité vis-à-vis des collègues.

Comme les norvégiens ou les allemands, les salariés français sont bien conscients qu'aller travailler avec la tête dans un étau du fait d'un rhume ou d'une migraine ou avec des spasmes à cause d'une grippe ou d'une gastro est désagréable, peut générer des complications et, en tout les cas, s'avère généralement contre-productif. Comme leurs homologues européens, il y a fort à parier que s'ils en avaient la possibilité, les salariés français préféreraient eux aussi s'auto arrêter pour récupérer d'une nuit difficile à la suite d'une intoxication alimentaire par exemple, quitte à récupérer ces heures plus tard. Sauf que voilà. 

A la différence de leurs homologues, les salariés français bénéficient d'un système de santé qui permet une indemnisation de leurs arrêts, sous réserve en général du respect d'un délai de carence de 3 jours. Or, les arrêts délivrés par le site arretmaladie.fr contre le versement de 25 € (soit 4 € de plus qu'un certificat obtenu chez son médecin) sont précisément de 3 jours maximum. C'est-à-dire que les arrêts maladie délivrés par la plateforme mise en ligne mardi dernier ne permettent pas au salarié de percevoir ses Indemnités Journalières... 

En clair, un salarié français qui souhaiterait obtenir un arrêt maladie en ligne via la plateforme arretmaladie.fr est certain de ne pas percevoir ses indemnités journalières, d'une part, et, d'autre part, risque fort de ne pas être remboursé du prix de sa consultation. 

Alors certes, ce type d'arrêt peut présenter un intérêt dans une grande entreprise et pour un salarié bénéficiant d'un salaire lui permettant de faire l'impasse sur un à trois jours de paie. Mais il est important de rappeler que selon les derniers chiffres publiés par l'INSEE, le salaire médian en France est de 1 789 € net par mois. Soit 89 € net par jour. Ce qui signifie que pour 50% de la population, ne pas être payé pendant 3 jours revient à perdre 267 €. Un luxe que tous, en en particulier les actifs percevant les salaires les plus bas, ne sont pas forcément en état de s'offrir aujourd'hui. 

                                                                                                                                                                             Ingrid TRONET

                                                                                                                                                                            Tronet Conseils