Menu
Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Syndicat > SNCF : Utilisation abusive du droit de retrait, une grève sauvage ?

SNCF : Utilisation abusive du droit de retrait, une grève sauvage ?

SNCF : Utilisation abusive du droit de retrait, une grève sauvage ?
Le 21 octobre 2019
Le détournement du droit du travail, une spécialité chez la SNCF ? Conditions d’exercice du droit de retrait et conséquences en cas d’utilisation abusive.

Contexte : l’origine du mouvement social au sein de la SNCF

C’est un accident grave, ce mercredi 16 octobre, entre un convoi exceptionnel et un TER en Champagne-Ardenne qui est à l’origine des perturbations actuelles au sein de l’entreprise. 16h15, un TER qui reliait Sedan à la gare Champagne-Ardenne TGV a percuté un camion d'un convoi exceptionnel sur le passage à niveau de St Pierre-sur-Vence. Bilan : 11 blessés légers, dont certains ont été hospitalisés.

La réaction des syndicats de la SNCF ne s’est pas fait attendre. Au lendemain de l’accident, certains agents de conduite et contrôleurs ont exercé leur droit de retrait.

Dans un communiqué du 17 octobre 2019, SUD-Rail dénonce l’organisation du travail au sein de la SNCF : « Le conducteur du train, qui compte parmi les blessés, a dû porter secours aux passagers car c’était le seul agent SNCF à bord, les dispositifs d’alerte de la rame AGC n’ont pas fonctionné ! »

« La Fédération SUD-Rail soutient ces actions de résistance et de droits de retrait et appelle à l’amplifier pour faire entendre raison à une direction irresponsable »

Il convient de noter que cette seule déclaration démontre le détournement du droit de retrait opéré par les organisations syndicales. L’objet du droit de retrait n’est pas de mener une action de résistance destinée à faire entendre raison à la direction d’une entreprise.

Droit de retrait : qu’est-ce que c’est ?

Le droit de retrait est prévu aux articles L4131-1 et suivants du Code du travail.

Ce droit permet à un salarié de quitter toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

Le droit de retrait, comme son nom l’indique, est une possibilité laissée à l’initiative du salarié. Il peut choisir d’exercer son droit ou non.

Si le danger grave et imminent persiste dans la situation de travail du salarié, l’employeur ne peut pas demander au salarié de reprendre son activité.

Au sens de l’article L4131-3 du Code du travail, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.

La notion de danger grave et imminent

Toute la problématique de l’exercice du droit de retrait réside dans la notion de danger grave et imminent.

Au sens de la circulaire de la direction générale du travail du 25 mars 1993, le danger grave est un danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée. La notion de danger grave est à distinguer du simple danger qui est inhérent à l’activité du salarié. C'est seulement en cas de danger anormal, compte tenu du type d'activité exercée, que le salarié pourra se retirer.

Est imminent tout danger susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché.

Un détournement du droit de retrait pour une grève surprise ?

Le Premier ministre Édouard PHILIPPE, à l’antenne de BFMTV, dénonçait un détournement du droit de retrait en grève sauvage dans le but d’avoir un maximum d’impact sur les Français au premier jour des vacances de la Toussaint. Il appelait notamment la SNCF à examiner « toutes les suites, y compris judiciaires, qui pouvaient être données quand les gens ne respectent pas la loi ».

Le PDG de la SNCF, M. Guillaume PEPY, déclarait sur le plateau de BFMTV : « C'est une grève. Nous avons donc fait des injonctions vis-à-vis des salariés grévistes de reprendre le travail et nous sommes en train d'étudier la voie judiciaire, c'est-à-dire la façon dont nous allons aller devant la justice pour faire juger qu'il s'agit bien d'une grève et pas d'un droit de retrait ».

Notre avis : grève surprise ou exercice légitime du droit de retrait ?

Il convient tout d’abord de noter que le bien fondé de l’exercice droit de retrait, même exercé collectivement par un ensemble de salariés, s’apprécie individuellement. Des salariés peuvent donc valablement exercer leur droit de retrait s’ils sont tous exposés individuellement à un danger grave et imminent comme visé ci-dessus.

Une première question se pose : les agents SNCF retirés sont-ils tous exposés à un danger grave et imminent ? Le seul risque de la survenance d’un accident peut-il permettre l’exercice du droit de retrait ?

Le 27 septembre 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt dont les éléments de faits en certains points similaires à ceux présentés dans cet article.

103 salariés de la SNCF exerçant des fonctions de contrôleurs ou chefs de bord en contact direct avec la clientèle et exécutant des opérations de contrôle des titres de transport ont, à la suite de deux agressions survenues le 16 décembre 2014 à Annemasse et dans le secteur Isère, usé de leur droit de retrait.  

La direction de la SNCF estimait que le retrait ne pouvait pas perdurer après le 17 décembre 2014 à 19h (1 jour après l’incident).

La direction de la SNCF à l’époque avait envoyé une injonction de reprise du travail aux salariés. Ayant refusé de reprendre le travail à la suite de cette injonction, les salariés se sont vu retenir leur période d’absence sur leur salaire. S’ensuit alors une saisine de la juridiction prud’homale. L’affaire sera portée devant les magistrats de la Cour de cassation presque 3 ans après.

Dans leur arrêt, les magistrats relèvent que les « agents n'avaient pas de motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle ils se trouvaient présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé après le 17 décembre 2014 à 19 heures ».

Ainsi, pour les magistrats de la Cour de cassation, la situation ne présentait pas un critère de danger grave et imminent 1 jour après la survenance de l’agression d’un agent SNCF par un usager.

Le risque zéro n’existant pas, le risque d’agression d’un agent SNCF par un usager n’est toutefois jamais totalement maîtrisé. Toutefois, ce risque ne présente pas les caractéristiques d’un danger grave et imminent permettant l’exercice du droit de retrait.

N’est-il pas possible de procéder par analogie dans cette situation ?

Le risque d’accident de train ne peut jamais être totalement maîtrisé. Pour autant, ce risque d’accident inhérent à l’activité de conducteur de train (ou d’agent de contrôle) reste théorique, et non imminent.

Quelles conséquences pour les agents SNCF exerçant leur droit de retrait ?

La Direction de la SNCF a annoncé étudier la voie judiciaire.

Si la Justice venait à rendre une décision en faveur de la SNCF et à considérer le mouvement social comme une grève illégitime, les jours non-travaillés par les agents ne seraient pas payés.

Libre alors à la SNCF d’entamer des procédures disciplinaires. Cette dernière solution serait peu recommandable au vu de l’état actuel du dialogue social au sein de l’entreprise.

Coralie Klein-Reynaud

Rédactrice juridique en droit social

Droit-Travail-France